Espèce de petit cochon ! Tu t'es encore salit ! Va te changer !
Un B ? Tu te fous de qui ? Je me fiche que les autres ont eu des notes plus basses ! Toi, tu es intelligent !
Qui m'a fait un gosses pareil ? Tu l'as perdu où ?! Répond, au lieu de regarder tes chaussures comme un bovin !
Mais quel empoté, ce gamin ! Aller, relève-toi ! Incapable de marcher droit ! Et en plus il s'est encore salit... Paaaarfait !
Parfait."Plus vite !", "Fais mieux !", "Concentre-toi !"... Tout. Parfait. Pas un pli. Aucun bouton arraché. Les cheveux bien coiffés. Tout devait être parfait, avec eux. Rien de travers. Ils n'aimaient pas dire à leurs amis que leur enfant était comme tous les enfants. Ils étaient plutôt du genre à montrer mes bulletins de note plutôt que les photos de moi, tout nu dans la baignoire. Je crois qu'ils ont surtout gardé ça. Mes bulletins de notes... Et mes diplômes, aussi ! Aha ! Mes coupes et mes trophées. Ils adoraient décorer la maison avec. Champion d'échecs. Champion de puzzle. Record de Rubik's Cube et de casse-tête chinois... Chez moi, tous les gamins allaient jouer au foot ou à se taper dessus. Moi, je restais chez moi. A résoudre des casse-tête ou à jouer au solitaire. D'ailleurs, vous devez le deviner aisément, docteur ! A mon teint... Non ?
Sourire.Mes parents étaient des obsessionnel du perfectionnisme. Eux ne l'étaient pas du tout. Parfait, j'entend. Ils étaient stupides. Leur mentir était d'une facilité mortelle. D'ailleurs, ça a bien fini par les tuer ! Aha !
Quand j'ai compris qu'ils me pourriraient la vie jusqu'en Enfer, j'avais sept ans. Pour les chahuter un brin, j'avais volontairement raté un devoir. Un bête devoir sur les additions. J'étais incollable dans les mathématiques. Mais je l'ai raté. Une farce d'enfant. Pour me punir, ils m'ont mis la tête dans un livre universitaire. Vous savez ? Les gros tomes qui feraient trois fois votre poids ? Ehe, je dois encore avoir des lois quantique gravées dans mon ADN...
Mes parents m'ont toujours pourri la vie. Même quand on s'est installé à Seattle. Je pensais vraiment que la grande ville nous ferait du bien. Me ferait du bien. Mais ils ont été pires. J'ai beaucoup de tendresse, quand j'y repense ! Ehe, de vieux souvenirs qui me semblent vieux comme le monde...
Ma mère s'inquiétait beaucoup pour moi. Pour ma santé, en priorité. Puis pour mon bien être. Elle savait que je n'avais pas d'amis à l'école. Je la soupçonne même de savoir que ce babouin de Jefferson me tabassait à la sortie de l'école. Qu'importe ! Un jour, elle trouva la merveilleuse idée de m'offrir un chat. Un adorable petit chaton tout blanc qui tenait à peine sur ses quatre pattes. Elle l'avait appelé comment, déjà...? Mary ou quelque chose comme ça ! C'était ridicule, elle lui avait mis un petit nœud rose sur la tête. Ce chaton miaulait tout le temps. Quand je travaillais. Quand je jouais. Quand je réfléchissais. Parfois, j'entends encore ce foutue chat me piailler dans les oreilles ! Quand je l'ai retrouvé, ce soir-là, au milieu de ma chambre, après avoir déchiré tous mes dossiers - que j'avais ordonné avec une minutie olympienne, comme vous vous en doutez, docteur ! - je l'ai chopé par le cou et je l'ai mis dans le broyeur à ordure. Ca faisait quelque chose comme... Miaouuu... Miaouuuu... Miiii ! Bzzzzzzt ! Ahaha ! J'adore ce souvenir ! Vous savez pourquoi ? Pas pour cette sordide histoire de chat... Non. Mais parce que ça a signé le début de ma liberté.
Quand mon père a découvert le chaton, il m'a inscris dans un pensionnat pour jeunes surdoués. Une place pour moi. Une place où j'aurais pu être heureux. Fumier de Strawski...
- Qu'est-ce que tu mates, freak ?
- R-rien... Laisse-moi. Laisse-moi tranquille...
- Tu vas où, là ? Lily-Rose...
- Edgar...
- Tu cherches la merde, Lily-Rose ?
Ca faisait des mois qu'il me faisait le coup. Il ne supportait pas que je puisse être plus intelligent que lui. Plus mature, plus... Mieux que lui ! Il n'y avait que lui qui ne me laissait pas tranquille. Alors, ce jour-là, j'ai éclaté. Je l'ai poussé contre le casier. Il m'a éclaté la tête contre son poing. Très douloureux, soit dit en passant. Puis, il m'a cogné à l'estomac et dans les côtes. Alors, à la sortie du lycée, je l'ai attendu et je l'ai suivi pour savoir où il habitait. Savoir quel chemin il prenait et qui il voyait tous les jours. J'ai fait ça longtemps. Puis, un soir, j'ai réussi à lui voler les clefs de chez lui. J'ai séché les cours le lendemain et je suis allé dans sa chambre. Une chambre de connard, ehe. J'ai lu tout ce que j'ai pu. J'ai enregistré tout ce que je pouvais. Et dès lors que j'ai eu accès à sa vie, j'ai fait de sa vie un Enfer. Jusqu'à ce qu'il chiale en plein cours ! C'était drôle à en pleurer ! Il appelait sa maman... Bouhouhou... Puis, quelques mois plus tard, il a changé de lycée. Et je l'ai plus jamais revu. Mais bizarrement, il y a toujours un Strawski de rechange... On se débarrasse d'un tyran puis un autre apparaît ! C'est déprimant...
- Tu es amoureux d'elle ?
- Non. Elle est laide et conne.
- Pourquoi tu la fréquentes, alors ?
Je crois que tout est parti de là... De Frida. Et du professeur Russell. C'était mon premier boulot. Un stage dans les laboratoires pharmaceutiques Marcowitz. C'était le mieux qu'on pusse espérer ! J'étais jeune, fraîchement diplômé et sur le point de tenter une autre filière ! Marcowitz ne pouvait pas refuser mon dossier. A vrai dire, aucune entreprise ne le pouvait. Mon dossier était...
Parfait. L'un des plus grands génies que le monde ait porté. Le professeur Russell. Un homme très grand et très maigre. Il se déplaçait parfois en fauteuil roulant. Parfois avec sa canne. On disait que cet homme avait vaincu des obstacles scientifiques que le corps médical n'avait jamais franchi. On disait que cet homme pouvait contrôler l'esprit des gens et qu'il était immortel. On disait beaucoup de choses. J'étais son stagiaire et je voulais devenir comme lui. Enfin... Cet homme était malade. Et dérangé ! Complètement fou. Je voulais juste partager un peu de sa renommée et de son savoir.
C'est là-bas que j'ai revu Frida. Une camarade de classe. Une sale connasse qui pouvait pas aligner deux mots sans faire de faute. Au lycée, elle était à se pâmer devant les footballeurs pendant que je portais ses sacs. Je la détestais, à l'époque. Mais quand je l'ai revu avec cette blouse de laborantine et... Plus... Enfin, vous voyez ! Une femme ! Ca m'a fait quelque chose.
Elle était l'assistante du professeur Russell. Ca aurait dû m'enrager ! Parce qu'elle avait mieux réussi que moi ! Elle ! Cette idiote de première ! Mais... En vérité, je n'arrivais pas à lui en vouloir. Au contraire... J'étais heureux pour elle. Enfin non. Pas pour elle mais... Un peu pour moi. Parce que je pouvais la voir et qu'on se verrai encore longtemps, si je décrochais mon contrat à Marcowitz ! Je me disais même qu'un jour, elle pourrait devenir mon assistante. Et on aurait fait de grandes choses.
On s'est longtemps tourné autour. Elle était devenue plus gentille qu'avant. Plus douce, aussi. Et plus intelligente. On a fini par s'embrasser devant chez elle. J'avais 19. Elle a été ma seule... Mh. Bref. Nous sommes sortis ensemble, quoi. C'était la première fois que j'étais vraiment heureux. Je l'aimais tellement... C'était fou.
Puis, un jour, elle n'est plus revenu travailler. J'ai appelé sur son téléphone. Elle ne répondit pas. Comme un idiot, je me suis beaucoup inquiété... Alors j'ai enquêté sur sa disparition. J'ai fouiné et avec mes capacités, vous vous doutez que je n'ai pas mis longtemps à découvrir ce qu'il s'était passé. C'était le professeur Russell qui l'a... Exclue de ses projets. Ou au contraire... Je ne sais pas...
Que doit-on faire quand son patron s'en prend à sa copine ? C'était un travail idéal. Celui que tous les chercheurs rêveraient. Frida n'était qu'une... Conne. Au final. Alors aurais-je vraiment dû faire quelque chose ? N'importe qui aurait fait comme moi. C'est à dire : Rien.
***
Rapport #1 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasienDiplômé 4 fois de l'université de Seattle XV, directeur de congrès. Chercheur en génie mathématique, professeur des sciences naturelles et enseignant à mi-temps à l'université de Seattle III.
Le patient a été interné ce matin aux premières heures. Jugé dangereux et inapte à vivre en collectivité, il est atteint de sévères troubles de l'humeur et de crises de violence. Trois de ses victimes ont été hospitalisées aux urgences de Seattle. L'une d'entre elles a peu de chance de s'en sortir. Je prends en charge son dossier et l'ai rencontré une première fois, dès son entrée dans l'établissement.
Le patient délire et souffre de mégalomanie et de troubles paranoïaques. Encore très instable et épris de crises de violence imprévisibles, je n'ai pas encore pu établir de véritable dialogue avec lui. Il a été ramené de force dans sa chambre.
Je préconise une prochaine séance dès que son état ce sera amélioré. Je lui prescris des tranquillisants et des calmants, le temps que ses crises de violence s'estompent.
Dr. Stebbins
Rapport #5 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasienLe sujet s'est calmé. Nous pouvons discuter et avoir une conversation cohérente bien qu'il puisse avoir quelques paroles délirantes. Il refuse toutefois de se confier et de répondre aux questions. Il utilise des méthodes d'évitement habiles et menaçante. Le sujet dit savoir où j'habite et tente des techniques d'intimidation sur moi. Je continue ma thérapie avec lui.
Dr. Stebbins
Rapport #8 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasienLe sujet a eut sa première crise de violence la semaine dernière et a agressé plusieurs membres du personnel dont une infirmière. Elle est actuellement en rétablissement à l’hôpital. Elle a un déplacement de la mâchoire et plusieurs dents cassées. Il est fort probable que les médecins lui diagnostiquent un sévère trauma crânien.
Durant la séance, le patient a accepté de parler de l'incident. Cependant, il rejette toute responsabilité de ses actes et accuse l’infirmière de l'avoir brusqué. Il ne semble pas avoir conscience la gravité de son acte, banalise sa violence et semble convaincu qu'elle est légitime.
Le patient semble beaucoup plus calme mais continu d'avoir un discours délirant. Actuellement dans un épisode paranoïde, il accuse le gouvernement de l'avoir enfermé à l’hôpital et spécule sur des complots contre lui. Le nom de Marcowitz revient souvent mais il est encore très agité. Je préfère éviter le sujet pour le moment.
Dr. Stebbins
Rapport #16 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasienLe patient est toujours sujet à des crises de violence et des excès de rage. Il crie que son internement est une erreur et se compare aux autres internés. Je cite : "
J'ai un voisin qui mange sa merde et un autre qui se masturbe dans la salle commune. Je n'ai rien à faire ici."
Il a encore attaqué des membres du personnel. Bien que des gardiens ont dû faire face à des crises, il semble nettement plus commun que ses crises ne surgissent qu'en présence de femmes ou de jeunes personnes.
Je réussi à le faire parler. Il reste très méfiant mais aime parler de mathématiques et de charades. Je pense l'inscrire aux ateliers puzzle et ramener un jeu d'échecs pour nos prochaines séances. Peut-être sera-t-il plus ouvert au dialogue ?
Dr. Stebbins
Rapport #21 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasienLa patient reste invaincu aux échecs. Je ne réussi même pas à le surprendre.
Cela fait plusieurs semaines qu'il est inscrit à des ateliers de groupe. Cependant, les aides-soignants affirment qu'il refuse d'y participer. Il reste dans un coin et ne parle pas. Après discussion, le patient me confie que la présence des autres détenus l'embarrasse et le gêne. Je suggère de l'y retirer.
Trois nouvelles agressions. Deux de moins que la semaine précédante. Il semble plus calme. Je ne réussi pas le faire discuter de ses souvenirs. Cependant, il aime parler de choses techniques et m'apprendre ce qu'il sait.
Je pense diagnostiquer un cas très singulier d'autisme chez Edgar.
Dr. Stebbins
Rapport #23 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasienEdgar a fait une nouvelle crise paranoïaque, suivi par des hallucinations. Edgar pense avoir vu son reflet se transformer en monstre, dans le miroir. Il refuse de passer devant un miroir et évite de regarder son reflet durant notre séance. Je lui prescris de nouveau des antipsychotiques.
Marcowitz revient encore dans ses délires. Je pense lui en parler dès que son état ce sera amélioré.
Dr. Stebbins
Rapport #28 : Lily-Rose "Edgar" Wollstonecraft - 23 ans - Homme caucasien
Edgar affirme être guérit. Il accepte de reconnaître ses crimes. Il m'a parlé de quelques souvenirs d'enfance et de ses parents. Son revirement est très brutal. Je reste méfiant car il apparaît que son apparente guérison cache une tentative pour quitter l'établissement. Je tente de lui faire reprendre doucement contact avec l'extérieur afin de voir ses réactions. Il aime l'opéra. Il ira voir la représentation de la Flûte Enchantée, la semaine prochaine.
Dr. Stebbins
Extraits d'un quotidien de Seattle
Du 8 mai -
Un malade mental ce serait enfuit, cette nuit, du centre psychiatrique de haute sécurité de Seattle. Lily-Rose Wollstonecraft, également appelé Edgar, se serait échappé après avoir été conduit à l'opéra pour assister à la représentation d'une pièce de Mozart. Le dément aurait échappé à ses gardiens dans la foule.
Du 10 mai -
La police confirme l'identité du tueur de Martha et William Wollstonecraft, la nuit dernière. Ce sanglant massacre au coeur de la ville aurait été perpétré par un malade et patient du centre psychiatrique de Seattle. Évadé il y a deux jours, les médecins affirment qu'il en serait à son premier véritable homicide volontaire. La police appel les citoyens à la plus grande vigilance, le temps qu'il soit retrouvé puis arrêté."J'ai retrouvé une pièce d'échec sur ma table. Un fou noir. J'hésite. Je vais aller dormir à l'hôtel, ce soir."
Dr. Stebbins
Vous avez un nouveau message. Aujourd'hui à 2h06.
BIP
"A-allô, docteur... C'est... Ahem. Le professeur Wollstonecraft. Edgar. Votre. Oui, non. Vous ne m'avez pas oublié, hein. Et puis, tous les journeaux parlent de moi, ehe... C'est grisant, d'être ainsi la vedette du journal de 20h. C'est triste cependant que ce ne soit que pour... Enfin ! Je ne vous appelle pas pour ça, docteur. Docteur ? Vous êtes là ? Je vois la lumière, depuis vôtre fenêtre. Je sais que vous m'écoutez. S'il vous plait, décrochez...
Vous ne voulez pas... Tant pis. Je sais que vous m'entendez. Ca me suffit. Je n'aurai pas à écouter vos ennuyeuses leçons de morale.
Je... Voulais juste... Parler de ce qu'il s'était passé. Vous savez. Pour mes parents. Je... J'avais besoin d'en parler à quelqu'un. Je ne savais pas à qui. D'ailleurs, vous avez vu mon petit message ? J'espère que l'intention vous a plu ! Mais je m'égard ! Je dois être bref... C'était pour vous dire que c'était un... Accident. Je. Je sais que vous ne me croirez pas mais e vous promet que je n'avais aucune intention pareille ! Vous me connaissez... J'en serai incapable ! Mais, ils ont été odieux. Je pensais que je pourrais me réfugier chez eux... Le temps que toute cette histoire se tasse mais... Ils m'ont rejeté ! Leur propre fils ! Ils m'ont traité comme si j'étais un monstre ! Alors je les ai frappé... De toutes mes forces, sans comprendre. Je... Docteur. Vous êtes le seul à me comprendre... Ne me forcez pas à vous supplier... J'ai besoin que vous décrochiez ce combiné. Docteur... DOCTEUR !"
***
Le docteur Stebbins a réussi à convaincre Edgar de se rendre. Il a été de nouveau incarcéré ce matin, dans l'établissement. A présent, ses troubles apparaissent bien plus dangereux. Le meurtre de ses parents semble l'avoir bien plus touché qu'il ne le laisse entendre. Il est nerveux et très instable. Toutefois, il semble prêt à accepter la thérapie.
Le docteur Stebbins a décidé de prendre du repos et de retourner chez ses parents, à Washington. J'ai donc étudié ses rapports afin de reprendre le dossier, en attendant son retour. Bien que je doute qu'il veuille récupérer son patient à son retour. Edgar l'a beaucoup malmené et réclame encore sa présence. Il a décidé de m’appeler Stebbins. J'ai beaucoup de mal à le convaincre de m’appeler par mon vrai nom. Son cas est très particulier et je ne sais pas quel pédagogie avoir avec lui. Stebbins a réussi à s'approprier la confiance du patient mais au prix d'une évasion et de la mort de deux personnes. Je pense éviter de faire preuve du même laxisme que mon prédécesseur afin de voir ses réactions. Stebbins a laissé passer beaucoup de choses. Je découvre par exemple que de nombreuses de leurs séances n'ont été que des parties d’échecs ou de discussion ineptes. Des autorisations ont été signées de la main de Stebbins pour améliorer le confort d'Edgar et lui permettre une plus grand liberté au sein de l'établissement. Je comprends mieux comment le patient a pu agresser tant de membres du personnel sans qu'aucune mesure ne soit réellement prise.
- A propos... Cela fait bientôt un an que vous êtes ici et vous n'avez jamais parlé de Marcowitz.
- Une histoire sans importance ! Je ne me rappelle plus de grand chose... Ca fait si longtemps. Tout est flou.
- C'est dans l'un de leur laboratoire, que vous avez travaillé, n'est-ce pas ? Sous la tutelle du professeur... Russell ?
- Exact ! Je me souviens... Un grand homme ! Aha ! Littéralement. Je crois que la plupart de ses recherches étaient liées à des expériences sur... La mort. La décomposition. Et le cerveau humain. La volonté, la psychologie et... Peut-être l'âme ? Le professeur ne me disait pas grand chose. Comme tout le monde, il me méprisait... Mais je pense qu'il essayait de se la jouer un peu Frankenstein... Il dépassait largement le quota autorisé par l'université en terme d'utilisation de corps médicaux. Il faisait des expériences et j'ai vu...
- Qu'avez-vous vu ?
- ...Vous savez, docteur : La curiosité est une bien dangereuse amie pour qui ne sait pas la faire taire.
- Edgar. Je pensais que nous avions dépassé le stade des menaces ?
- Je ne vous menace pas... Je n'oserai pas ! Je vous... Averti. Simplement. Marcowitz a ses secrets. Et à moins que vous ne travaillez pour eux, je... Vous travaillez pour eux ?
- Quoi ? Non. Je suis votre psychiatre, Edgar. Calmez-vous. Vous savez que le moindre incident paranoïaque vous coûterez votre remise en liberté conditionnelle... Détendez-vous. Soufflez. Voilà...
- E-Excusez-moi. Docteur. Je... C'est idiot mais. Je suis sûr que vous me mentez, aha ! C'est... Stupide. Je suis stupide !
- Calmez-vous. Vos mains tremblent... Je peux augmenter la dose de vos traitements, si vous voulez.
- Non ! Non, surtout pas ! Je sais ce que vous essayez de faire et... Non ! Rha ! Elles sont encore dans ma tête ! Elles ne veulent pas partir ! Et vos calmants... Ils ne servent à RIEN ! Elles me parlent toujours et toujours ! Je suis juste TROP fatigué pour les écouter ! Mais elles sont toujours là ! Je ne veux pas que... Je suis apte ! Je vous promet que je suis apte ! Ne reportez pas ma conditionnelle... S'il vous plait, docteur... J'en peux plus. De ces fous. De ces ateliers à la con. De ces séances dans ce vieux bureau qui sent mauvais ! Et des hurlements, la nuit... Je n'en dors pas !
- Essayez de vous calmer, Edgar. Si vous me montrez que vous savez gérer vos crises, je ne repporterez pas votre conditionnelle. Mais il faut que vous me prouviez que vous pouvez contrôler vos émotions... Rappelez-vous de vos séances de self-control. Méditation. Respiration.
- Ca va... Ca va... Je. Je vais bien...
- Nous allons éviter de reparler de Marcowitz. Il apparaît clairement que c'est encore un sujet difficile pour vous. Mais je suis très fier. Après un an, vous avez fait des progrès formidables ! D'ici décembre, nous pourrons tenter des sorties plus longues... Et cette fois, pas d'évasion, hein !
- Aha non, docteur. Pas d'évasion.
Edgar me trouble beaucoup. Je ne sais pas comment je dois réagir avec lui. Il est très intelligent mais son comportement d'enfant me laisse parfois confus. Le pire, sans doute, est que je sais qu'il ressent mon anxiété. Et que ça lui plait. Edgar aime savoir qu'on le craint. Parce qu'il a abandonné l'idée d'être aimé.
Lors de sa dernière sortie au cinéma, Edgar a rencontré une femme avec qui il a discuté. Il ne m'a pas dit de quoi ils avaient parlé mais ils ont gardé contact. Edgar achète beaucoup son affection. Je crains que son désir d'être apprécié ne le mette en danger. Financièrement et psychologiquement. Je suppose que je devrais le laisser faire et me contenter d'être prêt à le soutenir lorsqu'il fera face à la réalité. Mais je ne peux pas m'empêcher de le mettre en garde contre lui-même et contre cette femme. Edgar voudrait que je la rencontre et a l'air très excité à cette idée. Je suppose qu'il a enfin réussi à m'accepter et a oublié le docteur Stebbins. Mon avis semble beaucoup compter, pour lui. J'essaie doucement de l'avertir : Une fois parfaitement sortie de l'établissement, il devra aller voir un autre psychiatre. Cependant, il évite le sujet. Il est terrifié à cette idée et je le vois. Je tenterai une transition en douceur et redoublerai de prudence quant au psychiatre que je lui assignerai. Je comprend désormais le docteur Stebbins et son laxisme professionnel, sans toutefois le pardonner. Edgar est un homme très fragile, derrière sa méchanceté et ses propos cruels. Je suppose qu'il a tenté de faire ressortir sa sensibilité, au cours de la thérapie. Qu'importe. Je ne devrai pas donner de justifications à ses erreurs.
- J'ai trouvé un emploi !
- Vraiment ? C'est une heureuse nouvelle, félicitation !
- Un poste d'enseignant dans un lycée privée ! Mmh... Elias Walter. C'est le nom du lycée. En biologie ! (...) Quoi ? Ca n'a pas l'air de vous faire plaisir.
- Edgar... Vous savez que vous ne pouvez pas enseigner. Vous êtes encore trop fragile.
- C'est professeur Wollstonecraft. Et je ne suis pas pas fragile ! Ce n'est qu'un bête poste d'enseignant pour gamins demeurés... Vous vous inquiétez pour rien, docteur. Et le directeur de ce lycée est au courant de tout. Ca ne le dérange pas, lui. Il m'accepte.
- Ce n'est pas la question, Edgar.
- Professeur. Wollstonecraft. C'est fou que vous n'arriviez pas à l'accepter ! Pourquoi ? Je suis diplômé ! Je mérite d'être appelé ainsi au même titre que je vous appelle Docteur Stebbins !
- Vous savez très bien comment je m'appelle...
- Ehehe... Vous aussi. Mais vous voyez ? Nous nous fourvoyons mutuellement nos identités...
- Je ne vous appellerai pas "Professeur Wollstonecraft", Edgar. Simplement car vous n'êtes pas derrière ce bureau à titre de chercheur mais celui de patient. Et vous m'appellerez docteur Miller car je suis ici en ma qualité de psychiatre. Vous comprenez ?
- Vous voulez vraiment avoir le dernier mot... C'est agaçant. Vous m'agacez, docteur. De toutes les façons, j'aurai ce poste. Que vous le vouliez ou non. Et je vous prouverai que je suis très bien capable de l'assumer.
- C'est tout ce que j'espère, Edgar...
- Ca suffit. Aujourd'hui, vous êtes horripilant ! Prenons le prochain rendez-vous. Je veux rentrer.
Edgar a encore beaucoup de progrès à faire mais le pire est dorénavant derrière lui. Il est intégré, possède son appartement en ville. Il est indépendant et semble s'intégrer correctement. C'est une franche réussite. Après trois ans... Mon seul regret est que nous n'avons jamais pu reparler de Marcowitz. C'est un traumatisme bien trop profond. Quelque chose s'est passé là-bas. Quelque chose de grave. Et à force d'y penser, je me dis que parfois, je n'ai sans doute pas envie de savoir. Tant pis. Tant mieux. Edgar n'est plus de mon ressort.
Il s’accommode de son nouveau psychiatre. Il s'en plaint parfois mais accepte assez bien. Il a encore de grandes difficultés sociales même s'il m'apparaît bien moins naïf qu'avant. Edgar m'a parfois parlé de cette femme a qui il n'ose pas parler et qu'il fréquente quotidiennement. Elle lui plait beaucoup et lui donne une belle motivation pour sa thérapie. Pour le moment, il reste encore très timide et ne se pense pas prêt. Il pense qu'il lui imposerait ses troubles. Sa lucidité sur lui-même me terrifie et m'emeut beaucoup. Edgar a perdu toute confiance en lui, même s'il reste très égocentrique. Il dissimule bien sa mégalomanie mais Edgar reste le même. Il accumule complexe d'infériorité et de supériorité sans même s'en apercevoir. Il a beaucoup mûrit même s'il me rappelle toujours un adolescent qui entre un peu maladroitement dans sa vie de jeune adulte.
Ce sera notre dernière séance. Je l'espère. Edgar semble être affecté par ce changement. Il râle beaucoup mais ne tente pas de s'imposer. Sans doute aurait-il été incapable de l'accepter, quelques années plus tôt. Je quitte ce patient avec une certaine tristesse. Un pincement au coeur, presque douloureux. J'ai la sensation de faire une bêtise. De l'abandonner à un monde froid et cruel qui va inexorablement le déchirer. Edgar a sans doute raison : Je m'inquiète pour rien. Et je sais qu'il reviendra souvent me rendre visite. Edgar a besoin de garder un lien avec les choses qui lui donnent une sensation de sécurité. L'établissement est sans doute l'endroit où il s'est senti le plus à l'aise même s'il le dément et qu'il assure que sa nouvelle vie, dehors, le rend très heureux. Edgar est un nostalgique qui a une difficulté maladive à faire face aux changements.
J'espère de tout cœur que tout ira pour le mieux, pour lui. Je le laisserai aux bons soins de mon collègues.
- Alors ? Prêt pour votre nouvelle vie ?
- Je n'ai jamais été aussi prêt, docteur ! Et je sais que de nous deux, celui qui en souffrira le plus, ce sera vous, ehe.
- Vous ne croyez pas si bien dire ! Vous entendre râler va me manquer.
- Aha ! Oui. Moi aussi... Mon nouveau docteur est très bien. Un peu stupide, néanmoins... Mais je ne peux pas tout avoir, n'est-ce pas ...?
- Exactement. Vous apprendrez à vous apprivoiser, ne vous en faites pas. Et au lycée ? Comment s'est passé vôtre rentrée ?
- Ma foi, fort bien ! Il n'y a pas grand chose à dire...
- Vous avez toujours beaucoup de choses à dire. Edgar. Vous savez que vous pouvez vous confier à moi. Même si c'est notre dernière séance, je reste vôtre psychiatre.
- Je... Ce n'est rien ! J'ai juste... L'impression que. C'est stupide ! Je crois que mes collègues ne m'apprécient pas. Je fais pourtant tout pour ! Je ne crois pas être méchant... Mais. C'est étrange. Je pense juste que je délire...
- Vous souhaitez que je fasse quelque chose ? Je peux en parler à mon collègue qui s'occupera de gérer cette épreuve avec vous.
- Non ! Aha ! Ca va ! Je suis sûr que ce n'est rien. C'est pareil avec mes élèves alors que ce ne sont que des adolescentes stupides ! Je ne pense pas qu'il y ait besoin de faire cas de ça.
- Parlez-en à vôtre nouveau psychiatre. Même si ce n'est rien, c'est important d'avoir quelqu'un à qui se confier.
- Je ne comprend pas pourquoi, pour ma part, ce quelqu'un s'avère être un psychiatre. Je n'ai aucun ami, docteur !
- Ne mettez pas la charette avant les boeufs, Edgar. Il y a quelques années, vous étiez incapable de sortir dans la rue sans vous montrer agressif et violent. Vous étiez inapte à la vie collective. Et regardez-vous, maintenant. Vous avez un logement, un emploi stable, une vie équilibrée. Ces choses-là viendront doucement. Soyez patient et continuez vos efforts. Ils finiront par payer. Vous pouvez me faire confiance.
(...)
- Ainsi donc, nous y voilà... On doit se serrer la main ou...?
- Aha, je pense qu'il serait préférable que nous nous serions la main, Edgar ! Mais ce n'est pas une fin en soi. Nous nous reverrons sans doute et votre psychiatre me tiendra informé de vos progrès. Vous savez que vous serez toujours le bienvenue ici, même si nous préférions ne plus vous revoir de ce côté de la barrière !
- Oui, ehe. Certainement. Eh bien. Au revoir, docteur. Peut-être à bientôt. Peut-être pas. Qui sait ?
- Qui sait ?
Qui sait ?